"L'Afrique prend conscience de l’importance du numérique" – DW – 03/10/2024
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SciencesAfrique

"L'Afrique prend conscience de l’importance du numérique"

3 octobre 2024

Interview avec Dia Ndiaye, spécialiste sénégalais des technologies et de l’intelligence artificielle sur l’état des lieux du numérique en Afrique, les limites et la question des données.

https://p.dw.com/p/4lNCF

Notre invité est Dia Ndiaye, qui est spécialiste de technologies et de l'intelligence artificielle. Avec lui, nous revenons sur les enjeux de l’ère numérique en Afrique, les potentialités, les limites aussi alors que des centaines de millions d'Africains n'ont pas accès à l'électricité. Entretien...

 

Dia Ndiaye : Donc voilà, de plus en plus, les pays prennent vraiment conscience de l'importance du numérique, de l'importance du digital et des technologies émergentes, notamment celle de l'intelligence artificielle et de ses algorithmes.

Mais il y a des pays qui sont de plus en plus en avance, bien sûr, par rapport à d'autres. Et puis, si on prend par exemple l'exemple des intelligences artificielles, il y a plusieurs pays africains actuellement qui ont déjà adopté leur stratégie dans l'intelligence artificielle. Il y en a d'autres qui sont en cours de rédaction et il y en a d'autres qui n'ont même pas encore amorcé ce processus-là, en vue d'avoir une stratégie nationale d'intelligence artificielle.

Et si on prend également sur l'autre volet, il y a des pays qui sont très très en avance sur tout ce qui est digitalisation. Prenons par exemple l'Ile Maurice, qui est vraiment un pays référence sur tout ce qui est digitalisation, utilisation des services numériques dans l'administration par exemple, pour faciliter la vie des citoyens, permettre aux usagers d'avoir accès à des extraits d'acte de naissance, à des papiers administratifs, etc.

Un spécialiste du service clientèle aide à l'enregistrement d'une nouvelle carte Sim à l'extérieur de la boutique du service clientèle de Safaricom, l'un des principaux fournisseurs de réseaux de téléphonie mobile au Kenya (09.04.2022)
Tous les Africains n’ont pas de smartphones pour se connecter à internet, selon Dia NdiayeImage : Donwilson Odhiambo/Zuma/IMAGO

Un citoyen par exemple, d'un certain pays au fin fond d'un village, qui voudrait aller à l'hôpital parce qu'il a des maux de tête. Il pourrait donc, lorsqu'il a accès à un outil numérique, à travers une application ou une plateforme web, tout simplement vérifier si dans tel hôpital il y a un lit disponible ou bien s'il y a un médecin disponible en fonction de ses pathologies, en l'occurrence les maux de tête. Si oui, il pourrait s'orienter vers ce hôpital-là, sinon il peut s'orienter vers un autre hôpital que l'application pourrait lui suggérer. Et donc ça, sans le numérique, on ne pourrait pas l'avoir parce que le numérique, derrière il y a un ensemble de processus qui tournent, qui nous permettent vraiment de s'orienter, donc de nous faciliter encore une fois la vie, etc.

Maintenant là où je vais mettre le point, c'est vraiment d'alléger les tâches : c'est pas de délaisser les tâches au numérique à 100%. L'être humain sera toujours au centre de l'usage de ces outils numériques-là.

 

DW : Quelles sont les limites du du numérique sur le continent ? Parlons d'abord de l'énergie électrique, parce que ça, c'est une limite. On imagine qu'il en faut, par exemple, pour que le numérique fonctionne. Selon la Banque mondiale, 600.000.000 d'Africains n'ont pas accès à l'électricité. N'est-ce pas là un handicap majeur ?

Oui l'accès à l'électricité bien sûr, à la connexion internet également en bonne bande passante, mais également tout le monde sur le continent n'a pas la capacité également d'avoir accès à des smartphones qui permettent bien sûr de se connecter à internet, etc. Donc tout ça, ce sont des limites. Au-delà de ça également, il y a les limites liées à l'écosystème, donc aux écosystèmes sur le continent, dans leur généralité, parce que ces écosystèmes-là ne sont pas peut-être très très favorables au développement du numérique. Mais de plus en plus on voit vraiment que les écosystèmes sont sensibilisés et il sont en train vraiment de booster le développement du numérique. 

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Mais sous un autre angle également, toutes ces limites-là sont en train vraiment d'être contournées. Moi par exemple, je viens d'un village très très éloigné du Sénégal, j'ai vécu d'ailleurs dans plusieurs villages du Sénégal. Vers les années 2000, disons 2004, 2005, il n'y avait pas d'électricité dans ces villages-là. Mais quand même les populations arrivaient vraiment à utiliser quelques outils du numérique tels que les anciens téléphones. Et même s'il n'y avait pas d'électricité dans ces villages, les populations arrivaient à se déplacer vers des villes environnantes pour vraiment alimenter leur téléphone portable en électricité. Donc ça, c'est vraiment des efforts fournis par les populations pour en quelque sorte faciliter leur accès aux outils numériques.

Aujourd'hui, par exemple, dans plusieurs pays africains, on a de réels problématiques sur les déclarations de naissance. Donc imaginons, si on s'appuie sur une intégration comme WhatsApp, à travers une autre application à côté qu'on va développer, qui sera directement connectée aux bases de données de l'administration. Un enfant qui naît dans un village et ses parents pourraient directement mettre un message vocal sur WhatsApp ou bien tout simplement écrire rapidement "mon enfant est né tel jour, telle heure" et cette information-là sera directement reçue à travers les bases de données de l'Etat et de l'administration. Et cette dernière pourrait bien sûr enregistrer cet enfant-là. Ses parents et l'enfant n'auront pas de soucis d'extraits de naissance par la suite. Donc ça, c'est juste un exemple pour dire que vraiment aujourd'hui, on a pelin d'opportunités, d'applications qui existent sur lesquelles on peut se baser pour créer encore plus d'applications numériques qui peuvent aider les populations à répondre, à faire face aux problématiques les plus élémentaires et les plus essentiels.

 

DW : Il y a aussi le problème de la représentation des langues sur Internet, les langues africaines sont moins présentes. Comment le numérique peut-il atteindre tout le monde si certains ne comprennent pas le Français ou l'anglais par exemple ?

Il y a des progrès aussi. Si je donne juste l'exemple de Google - ce n'est pas pour faire vraiment de la publicité - mais Google a très récemment devéloppé une application, qui prend en charge par exemple la langue nationale du Sénégal qui est le Wolof. Donc ça je pense que c'est un problème, c'est déjà une belle victoire. Ensuite on n'est pas obligé aussi d'attendre l'intégration des langues nationales complètement dans les outils numériques pour pouvoir trouver des raccourcis.

J'ai donné tout à l'heure un exemple, WhatsApp. Moi je peux utiliser l'application pour faire un message vocal et faire passer une information qui est destinée à une personne, ou bien tout simplement qui est destinée à l'administration ou bien qui est destinée à la mairie.

 

DW : On en vient la question du câble sous-marin. J'ai lu que Djibouti a 9 câbles sous-marins et aussi des câbles terrestres. Aucun autre pays africain ne fait mieux, à moins que vous corrigiez là-dessus. Alors on sait aussi que ce pays-là, Djibouti est stratégique pour les puissances étrangères. Mais comment ça marche un câble sous-marin ?

Si on est en mesure, vous et moi, d'échanger et que voilà, la communication passe d'un point A à un point B - vous êtes le point A, je suis le point B - c'est parce qu'il y a ces câbles sous-marins, qui permettent vraiment de faire transiter les flux d'informations, les données d'un point A vers un point B. Donc disons par exemple, de l'Europe vers l'Afrique, de l'Europe vers l'Amérique, de l'Amérique vers l'Afrique, etc. Donc c'est ce à quoi servent les câbles sous-marins. Et donc vous voyez, ils sont encore une fois fondamentaux pour qu'on puisse rentrer dans une dynamique de communication internationale.

 

DW : Mais est-ce que les pays ne sont pas aussi vulnérables avec la question des câbles sous-marins ? Justement, il y a quelques mois, l'ouest du continent notamment, était coupé du réseau mondial après que des câbles sous-marins ont été endommagés. Quel impact après la destruction d'un câble sous-marin par exemple ?

C'est tout simplement une conséquence de ce que j'ai expliqué tout à l'heure. Donc si on est en mesure d'échanger aujourd'hui, c'est parce qu'il y a l'existence des câbles sous-marins. Maintenant imaginons que ces câbles sous-marins sont coupées ou sont en défaillance dans ce cas-là ! Dans ce cas-là, on aura beaucoup de soucis à communiquer, à faire transiter les données à travers nos ordinateurs, à travers nos serveurs parce que la donnée qui est partagée ne pourrait plus transiter du point A vers le point B parce que le câble sous-marin qui est relié à ces deux points est en déficit, n'est pas fonctionnel en quelque sorte. Donc ça également ce sont des conséquences face auxquelles les pays bien sûr doivent anticiper. Parce que la communication, c'est pas une nouvelle information, est fondamentale aussi bien pour l'économie, pour la société, pour les personnes et les biens.

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DW : On va parler à présent de la question des données, sont-ils suffisamment assez protégés dans les pays africains ?

On peut dire que nos données transitent de l'Afrique vers les Etats-Unis, de l'Afrique vers l'Europe parce que la plupart des serveurs qui hébergent ces données ne sont pas ne sont pas localisés en Afrique. Donc ça aussi c'est une réelle problématique, sur la sécurité des données. Maintenant, sous l'autre partie également, on est un peu obligé. Après il faudrait peut-être juste bien définir les réglementations qui vont encadrer ces données-là et bien sûr obliger les géants, surtout ce qu'on appelle les géants du web à bien traiter ces données-là de manière licite.

La révolution technologique a démarré depuis très longtemps et l'Afrique est un peu arrivée quand même en retard, quoi qu'on puisse dire. Lorsque Google a commencé a travailler sur ses modes d'intelligence artificielle, c'est vers les années 1997. Et en ce moment-là, on ne parlait même pas d'intelligence artificielle et peut-être même pas de technologie émergente en Afrique. Donc pour revenir encore une fois à ces outils numériques-là, à ces outils technologiques, on est obligé de laisser nos données à l'intérieur des plateformes digitales. Maintenant ce sera, je pense aux gouvernements africains, aux leaders du continent de prendre les devants pour définir les réglementations qui vont protéger les usagers lorsqu'ils utilisent ces plateformes numériques.

 

DW : Est-ce qu'on peut craindre que des régimes autoritaires, par exemple, puissent avoir accès aux données des populations, que cela représente un risque pour ces populations-là ?

Alors, il y a bien sûr des risques. Quand on se connecte sur les plateformes numériques, on laisse nos données. Le problème, pour un peu exagérer, on peut même y laisser notre vie. Nos historiques de géolocalisation, nos déplacements, nos envies de voyages, nos envies en termes de gastronomie, nos envies en termes de croyances, même politiques, religieuses, toutes ces informations-là sont stockées au niveau des plateformes, et ces plateformes-là collectent ces informations-là, en analysant nos interactions lorsqu'on est en ligne. Donc, bien sûr il y a un risque derrière, il y a tout un risque derrière qu'il faut vraiment prendre en compte. Et c'est par là qu'il est encore une fois important de mettre en place la réglementation claire, solide que les plateformes également devraient respecter pour ne pas y stocker de toute manière les données des utilisateurs qui naviguent sur ces plateformes-là.

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Maintenant il faut être responsable quand on utilise ces outils-là, voir vraiment comment les utiliser. Prenons par exemple Facebook. Je pense que presque toutes les plateformes ont cette cette possibilité-là. Il y a plusieurs utilisateurs qui ne le comprennent pas, mais Facebook offre vraiment la possibilité d'affiner les réglages de confidentialité. Et ça aussi, je pense qu'il faut une certaine éducation populaire pour sensibiliser les gens. Lorsqu'on ouvre un compte Facebook, prendre vraiment le temps pour faire cette configuration-là. Quelles sont les personnes qui ont le droit de voir mes publications par exemple ?Quelles sont les personnes qui ont le droit de me tagguer dans une publication ? Tout ça, on peut le configurer à travers les plateformes numériques. Et à partir d'un moment aussi pour se protéger lors de nos navigations en ligne, il faut arriver vraiment à ce niveau-là en quelque sorte. Et ça, ça nous manque un peu aussi en Afrique. Donc on n'est pas vraiment à ce niveau de sensibilisation-là et de conscience sur l'usage des plateformes du numérique.